9

Lune Qui Monte largua les amarres sans tambour ni trompette pendant le sommeil de Pyanfar. Quand le communicateur l’en avertit, elle se contenta de grommeler une réponse indistincte et ramena les couvertures sur sa tête. Il ne valait pas la peine de se lever pour assister à son départ et elle n’avait aucune raison de se montrer courtoise envers les Tahar qui, une fois encore, abandonnaient à son sort dans un port étranger un vaisseau hani réduit à l’impuissance. Ce qui ne la surprenait guère. Le personnel de veille avait ses consignes permanentes : inutile de se déranger. Hilfy dormait : inutile, aussi, de la réveiller : elle savait déjà à quoi s’attendre.

Pyanfar sombra à nouveau dans le sommeil après avoir fait le vide de son esprit… Sécréter de l’adrénaline ne servirait qu’à la priver de son repos. Ne pas penser. Ni à la situation présente, ni à Anuurn – à rien de particulier. Sauf, peut-être, aux réparations qui étaient toujours en cours. Elles devraient être pratiquement terminées quand elle se réveillerait. Tous les panneaux manquants étaient remplacés et les mahe s’affairaient sur la queue, vérifiant systématiquement les petits circuits endommagés dont dépendaient leurs vies.

Les ténèbres l’engloutirent et elle s’y laissa douillettement couler avec une singulière volupté.

 

— Capitaine… Capitaine, je suis désolée de vous déranger, mais on observe une certaine agitation chez les knnn.

Tendant le bras, Pyanfar tâtonna à la recherche de la commande du compte-temps. Son réveil n’était programmé qu’une heure et demie plus tard. Elle s’assit sur son lit.

— Capitaine… c’est urgent.

C’était Tirun qui était de quart.

— Branche-moi. Que se passe-t-il ?

L’écran s’illumina soudain dans la cabine obscure. Elle battit des paupières, se frotta les yeux et se concentra sur le diagramme. Les navires étaient dangereusement proches les uns des autres. Leurs feux anti-collision clignotaient.

— Tous les knnn au mouillage prennent le large, reprit la voix de Tirun. Leur direction générale…

— Ils suivent Lune Qui Monte ? Informe-toi auprès de la station. Qu’est-ce qui leur prend ?

— C’est déjà fait, capitaine. Les autorités ne veulent pas répondre.

— La peste les emporte ! Donne-moi une liaison.

Cela dura un moment. À la seule clarté de l’écran, Pyanfar se mit à la recherche de son bouffant, l’enfila et en ajusta la ceinture.

— La station refuse toujours le contact, capitaine. Les communications doivent avoir lieu uniquement par l’intermédiaire de messagers, ils ne veulent pas en démordre.

Pyanfar noua le cordon de son bouffant, se dominant pour ne pas laisser éclater son irritation.

— Transmets-leur mes compliments. Que font les kif ?

— Ils attendent. S’ils communiquent entre eux, ils le font par coureurs interposés ou par câbles.

— Continue de surveiller la situation. Je te rejoins.

Elle passa dans la salle d’eau, alluma, fit sa toilette et, en sortant, alla jeter un nouveau coup d’œil à l’écran. C’était maintenant une dizaine de bâtiments qui avaient quitté leur mouillage. Et tous filaient derrière Lune Qui Monte comme si ce maudit knnn ne savait plus de quelles hani il s’agissait et avait convaincu tous les autres qu’il y avait eu un malentendu autrefois avant que les stsho aient eu l’idée d’élargir la Communauté aux tc’a et que ceux-ci aient alors amené à leur tour les knnn et les chi à comprendre la civilisation communautaire. En tout cas, suffisamment pour y entrer sans que cela crée de frictions, pour nouer des relations commerciales avec elle, pour éviter les affrontements et pour coopérer à l’occasion. Ces respireurs de méthane étaient dangereux lorsqu’ils s’agitaient. La mine sombre, Pyanfar se peigna, éteignit l’écran et, quittant sa cabine, se dirigea vers l’ascenseur.

— Rien de nouveau ? demanda-t-elle en entrant dans la salle des opérations.

— Non, répondit Tirun penchée sur l’écran, sa jambe blessée en suspension. Ils se suivent à la queue leu leu tous les dix. Tous derrière les Tahar.

— Dieux ! Nous voilà dans de beaux draps !

— Ils doivent pourtant savoir par les signaux d’identification que ce n’est pas nous.

Pyanfar haussa les épaules dans un geste d’impuissance et revint sur ses pas.

— Je vais prévenir les autres. Ton quart prend bientôt fin, je suppose ?

— Dans une demi-heure.

— Qui te remplace ?

— Haral.

— Eh bien, c’est une journée qui commence tôt.

Elle ressortit pour se rendre au vaste compartiment qui servait de quartier d’équipage pendant les relâches. Elle actionna la commande d’ouverture de porte et, une fois à l’intérieur, celle qui déclenchait le cycle diurne.

— Debout tout le monde ! Nous avons un petit ennui. Les knnn sont devenus fous furieux. Je ne veux pas qu’ils nous surprennent au lit si jamais ils s’aventurent par ici.

Ce fut un remue-ménage dans les couchettes alignées sous les filets de protection garnissant le plafond. Tully était au fond à gauche, séparé des navigantes par un rideau mais de l’endroit où elle se trouvait, Pyanfar apercevait une tignasse ébouriffée et des yeux qui la regardaient avec ahurissement au milieu du fouillis des couvertures. Hilfy était du côté opposé, nue comme ses compagnes et comme était nu l’humain en train de s’extraire de son lit masqué par le rideau. Dieux ! Un frémissement de colère et de répulsion devant le désordre qui régnait dans L’orgueil parcourut la capitaine. Le célibat était de règle à bord. Elle croyait déjà entendre les ragots des Tahar – encore quelque chose à raconter sur Anuurn. Et elle imaginait la tête que ferait Kohan.

— Hilfy ! lança-t-elle sur un ton hargneux. Le petit déjeuner à la salle de veille dans une demi-heure. Exécution !

— À vos ordres, tante, répondit sa nièce qui se leva et enfila prestement son bouffant.

Pyanfar regagna à grands pas la salle des opérations. Elle se reprochait sa réaction. Hilfy avait ainsi renoncé au privilège d’occuper une cabine individuelle et avait rejoint le quartier de l’équipage. Pyanfar devinait pourquoi : la manière dont les Faha s’étaient esquivées n’y était pas sûrement pour rien. Et l’équipage l’avait invitée. Là, le personnel était chez lui et faisait ce que bon lui semblait. La capitaine n’avait pas à intervenir. Aux yeux des navigantes, donc, Hilfy était des leurs.

De même avaient-elles offert l’hospitalité à Tully.

Dieux ! Les poils se hérissèrent sur la nuque de Pyanfar.

— Le petit déjeuner et la relève ne vont pas tarder à arriver, annonça-t-elle à Tirun.

— La situation n’a pas évolué depuis tout à l’heure, capitaine. Les knnn poursuivent la même route. Tous sans exception. Les kif ne bougent toujours pas. Et ils n’ouvrent pas la bouche.

— Ils doivent être aussi déconcertés que nous. (Pyanfar s’assit.) Enfin, je l’espère.

— Ils n’ont pas pu communiquer avec eux, fit Tirun en lançant un regard anxieux à sa tante.

— Je me garderai bien d’échafauder des hypothèses.

La retraite se poursuivait. Lune Qui Monte s’éloignait du système, accompagnée à bonne distance par une escorte mahe et suivie par une nuée de knnn déchaînés.

— Ils sont déments, conclut Tirun.

Pyanfar observait l’écran d’un air farouche.

Haral entra, puis Hilfy qui apportait le petit déjeuner. Les autres – Geran, Chur et Tully – surgirent sur leurs talons, chacun avec son plateau.

— Que se passe-t-il au juste ? s’enquit Haral.

— Les Tahar traînent à leurs trousses tous les knnn qui étaient à la station, lui expliqua Tirun.

Sur l’écran, l’image s’était modifiée. Le spot figurant Lune Qui Monte s’était détaché des autres, ceux qui représentaient la flottille knnn…

— Ils s’arrêtent, dit Hilfy.

— C’est merveilleux, murmura Pyanfar en portant sa coupe de gfi à ses lèvres sans cesser de surveiller l’écart qui s’élargissait entre les Tahar et leurs poursuivants.

Les knnn devaient avoir élaboré un autre plan. Ils allaient faire demi-tour. Soudain, Tully dit quelque chose d’incompréhensible dans sa langue mais Pyanfar avait laissé son portatif dans sa cabine. Chur mit le sien en marche et l’appareil traduisit :

— Navires ennemis.

— Ce sont des knnn, répliqua Haral, pas des ennemis. Ils sont neutres. Mais la situation est inquiétante. Là, c’est Lune Qui Monte. Ils l’ont suivie. Maintenant, ils ont abandonné la poursuite.

— Pourquoi ?

— On ne sait pas, Tully.

Brusquement, Lune Qui Monte fit le saut. En une fraction de seconde, les sondeurs de la station perdirent le contact.

— Dieux ! s’écria Pyanfar à la vue des knnn qui viraient de bord.

— Manœuvre knnn ! Ces salauds nous en mettent plein la vue, fit Tirun. Faire une pareille conversion à plein régime… aucune hani, aucun être à métabolisme oxygène n’y survivrait. Notre maniabilité est de loin inférieure. Les dieux nous viennent en aide si nous devions faire feu sur l’un d’eux. L’ordinateur sera incapable de faire le calcul de tir. Il n’est pas programmé pour de tels mouvements.

— Ils ne nous attaqueront pas. Ils ne sont pas armés.

— Autrefois, dit Haral, on n’a jamais pris les knnn sur le fait. N’empêche que l’on retrouvait des vaisseaux étripés. Je n’étais pas encore née mais j’ai entendu dire qu’ils fondaient sur les navires, les transféraient ailleurs et les remorquaient jusqu’à un endroit où ils pouvaient les ouvrir tout à loisir.

— Ils arrivaient à les remorquer ? s’étonna Hilfy dont l’expression trahissait l’incrédulité.

— En s’y mettant à une douzaine en synchro, oui.

C’était une vieille légende qui courait les entreponts comme les histoires de vaisseaux fantômes. Et de créatures étranges vivant au-delà des frontières de la Communauté. Pyanfar considéra Tully d’un œil rêveur. Elle but une gorgée de gfi pour accompagner ses flocons secs. Une voix nouvelle tomba du diffuseur. Celle d’un tc’a. Sans doute s’adressait-il aux knnn.

Soudain, un témoin lumineux se mit à clignoter, indiquant un appel qui leur était destiné. Tirun appuya sur la commande d’affichage et le message s’inscrivit sur l’écran : Devons réviser estimations. Quinze heures travail supplémentaires pour terminer réparations. Sommes au regret. Davantage personnel nécessaire. Deux équipes. Nous répétons…

Pyanfar poussa un juron, s’empara du micro et se mit en liaison avec la station.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Pourquoi vous faut-il quinze heures de plus ?

La station relaya la question de proche en proche jusqu’au surveillant mahe du service entretien dont le jargon était quasiment inintelligible.

— Tous radoubeurs station travaillent.

Il répéta trois fois et de plus en plus fort comme si s’égosiller devait rendre sa réponse plus compréhensible.

— Merci, murmura Pyanfar. Terminé.

Elle passa les doigts dans sa crinière, raccrocha le micro et, s’efforçant de faire bon visage, balaya des yeux le groupe des navigantes qui la regardaient fixement.

— Au moins, dit Haral avec calme, ils ont trouvé le pépin avant de nous lâcher dans l’espace avec une avarie non réparée, c’est déjà ça.

— Je vais sortir voir ce qu’il en est au juste, proposa Geran.

— Non, ce n’est pas la peine. Je ne doute pas un seul instant que tu constaterais qu’il y a effectivement quelque chose d’endommagé. Il suffira que tu regardes par télévidéo. Et s’il y a une nouvelle défaillance, je veux savoir à quoi m’en tenir. (Elle réfléchit un instant.) Je fais confiance à ces canailles de mahe pour nous extorquer un maximum sous forme d’amendes et de frais, mais cela ne me paraît pas être le genre de la chef d’équipe. Encore que… oui, va quand même vérifier.

— J’y vais.

Geran prit son plateau et sortit pour gagner la coupole d’observation. Pyanfar se dit qu’elle s’y rendrait en personne quand elle aurait fini de déjeuner. En attendant, elle examina à nouveau l’écran de situation. Les knnn s’étaient encore mis en panne et immobilisés au large, au mépris des règles de navigation les plus élémentaires. La station signalait l’arrivée d’un transport mahendo’sat au zénith, ce qui lui faisait problème. Ce n’était pas simple non plus pour le transport en question qui, croyant aborder en toute sécurité, surgissait au milieu de knnn en folie qui embouteillait les couloirs de circulation.

— Je remonte, dit-elle finalement. Vous, allez vous reposer. Je prendrai la veille à ta place, Haral.

— Capitaine… (Haral ravala sa protestation, sentant que ce n’était pas le moment de faire des objections.) Entendu.

Sa tante quitta la salle en remontant son bouffant dans lequel elle commençait à flotter depuis quelque temps. Et si elle allait faire une descente dans les bureaux de la station pour se défouler ? L’idée la tentait. Pour le moment, elle avait envie de casser quelque chose. Mais cela n’arrangerait rien. Quinze heures ! Mais il n’y avait pas de quoi s’étonner. Dans la Communauté, dès que l’on avait besoin de faire réparer quelque chose, il y avait invariablement des retards et des dépassements de devis.

Elle prit l’ascenseur.

Dès qu’elle fut sur la passerelle, elle s’enfonça dans les profondeurs de son coussin et appela les services compétents pour se livrer à une rapide enquête. La réponse de la station fut laconique : Étrier d’aubette détérioré. Presque aussitôt, Geran se manifesta :

— J’ai une image en gros plan. Ils s’escriment sur l’embase de la pale mais je ne peux pas dire grand-chose de plus.

Elle envoya l’image. Deux radoubeurs et trois ouvriers enscaphés s’activaient sur le collier de l’aube mise à mal. Des clignotants rouges étaient fixés aux câbles, aux filins, aux pales pour prévenir tout accident dans l’ombre. C’était une réparation plausible. Qui ne reviendrait pas à un prix exorbitant. Le choc qui avait arraché les panneaux avait fort bien pu détériorer par contrecoup cette pièce qui ne pouvait pas être mise hors circuit et par laquelle passait un tiers de la puissance en ligne du générateur de saut.

— C’est l’étrier, signala Pyanfar à Geran qui devait claquer des dents dans la coupole. Rentre. Nous ne pouvons rien faire de plus.

Quinze heures pour réparer. Pyanfar ne parvenait pas à chasser un soupçon de son esprit. Le tableau de bord aurait dû signaler les dégâts. Qu’il ne l’ait pas fait pouvait s’expliquer. Un tel nombre de témoins d’alerte s’étaient allumés en même temps pour s’éteindre presque aussitôt une fois que tout était normalisé qu’on n’avait pu ne pas en remarquer un dans le tas. C’était possible, tout à fait possible. Il était possible, aussi, que ce soit la main du démon comme disaient les mahendo’sat à quoi ils attribuaient bien des naufrages. Un élément qui a pris du jeu et qui claque sous l’effet des contraintes mécaniques, et c’est la mort. L’équipage de L’orgueil devait bénir les radoubeurs qui s’en étaient aperçus. À moins que les mahendo’sat ne soient en train de se jouer de lui pour le retenir à quai. Si on contrôlait, maintenant, le voyant rouge s’allumerait forcément puisque la chemise blindée était démontée. Les yeux fixés sur l’écran, Pyanfar se sentait bouillir de rage impuissante.

— Haral ! appela-t-elle.

— Capitaine ?

— Au moment de la procédure de saut, tu as eu un problème. À ton avis, est-ce l’étrier n°1 qui était en cause ?

— Nous étions en perte de puissance, capitaine, répondit Haral après un silence. J’ai compensé et ça s’est arrangé. Mais le patinage avait provoqué une surcharge générale et le contrôle de secours sur lequel je suis passée avait sauté. Je ne savais pas exactement ce qui était défaillant. Rien ne marchait plus. J’ai cru que c’étaient les panneaux. Je suis désolée, capitaine.

La voix de Haral était contrite. Se tromper n’était pas dans ses habitudes. Jamais cela ne s’était encore produit.

— Si les panneaux encaissaient une surcharge, le voyant rouge se serait allumé, dit Pyanfar. Je ne suis nullement convaincue que tu aies commis une erreur.

— Je vais y aller.

— Et que feras-tu ? Ils ont fait un tel gâchis qu’il faut des radoubeurs pour tout remettre en état. Des radoubeurs mahen. Non. Nous devons prendre notre mal en patience.

 

Un peu plus tard, Chur avertit sa tante par le circuit général que les vivres commandés étaient arrivés. Des poissons surgelés venus des lacs de Kirdu II, des comestibles stsho pour Tully et, en plus, une provision de bandes d’enregistrement pour traductrice. Pyanfar regarda l’heure : la livraison avait été faite après le moment initialement prévu de leur départ. La rapidité avec laquelle le service d’approvisionnement avait été prévenu que celui-ci avait été retardé fit monter de plusieurs crans la tension de la capitaine.

— Vous m’avez reçue, capitaine ?

— C’est noté, répondit sèchement Pyanfar.

Et elle coupa la communication.

Une heure s’écoula encore. La caméra vidéo extérieure montrait les dépanneurs qui continuaient de s’affairer sur l’étrier défaillant. Pour meubler l’attente, Pyanfar vérifiait et revérifiait les témoins de maintenance, ne s’interrompant de temps à autre que pour jeter un regard irrité à l’écran ou pour tendre l’oreille à un dialogue avec la tour de contrôle. La situation aux approches de la station reprenait son cours normal. Seuls les knnn s’obstinaient à orbiter autour du système en s’interpellant de leurs voix pleurnichardes.

Le bourdonnement de l’ascenseur lui parvint. En entendant claquer les portes, Pyanfar finit ce qu’elle était en train de faire, se redressa, s’essuya les mains et remit de l’ordre dans sa crinière. Des pas légers sonnaient dans la coursive.

— Tante ?

Se juchant sur le rebord de son coussin, elle adressa un regard dépourvu d’aménité à Hilfy quand celle-ci entra.

— Cela vient d’arriver, lui dit sa nièce en lui tendant un pli scellé. Par porteur spécial.

Pyanfar lui arracha l’objet des mains et, fronçant le museau, déchira l’enveloppe d’un coup de griffe. Salutations, amabilités d’usage, assurances que l’on faisait tout son possible… suivait la signature de Stasteburana.

— Le maître de station m’envoie ses meilleurs compliments, traduisit Pyanfar sur un ton rogue. Quand nous serons prêtes à appareiller, une escorte nous accompagnera jusqu’au point de saut. Heure de départ confirmée, H plus 15. Les crapules ! Ils savaient que nous serions retardées sinon ils auraient réclamé l’enregistrement. Ils y tiennent et ils veulent l’avoir avant que le travail soit terminé. Le porteur a-t-il attendu ?

— Non.

— La peste les emporte tous autant qu’ils sont !

— C’est de l’enregistrement de Tully que vous parlez ?

Pyanfar leva les yeux et dévisagea sa nièce dont la barbe naissante dissimulait mal l’expression vaguement réprobatrice.

— C’est une critique ?

— Non, tante.

— J’ai expliqué le pourquoi du comment à la créature.

— À Tully, tante.

Pyanfar poussa un soupir d’agacement.

— À Tully, si tu veux. Je lui ai donné mes raisons. Est-ce que le message est passé ?

— Il… il en a parlé à Chur.

— Que lui a-t-il dit ?

— Qu’il comprenait.

— Et vous autres ?

Hilfy croisa les mains derrière son dos. Baissa les yeux. Les releva.

— Il devine… que nous allons avoir de gros ennuis. Il a essayé de nous parler aux unes et aux autres. Dieux ! Les efforts qu’il faisait ! Finalement… (Hilfy aplatit ses oreilles et baissa derechef les yeux.) Finalement, il a serré Chur dans ses bras et il en a fait autant avec toutes les autres. Cela n’avait rien à voir avec les avances d’un mâle à des femelles, non. Il voulait simplement exprimer quelque chose et il n’avait pas d’autre moyen.

Pyanfar, les mâchoires serrées, ne fit pas de commentaire.

— Il a commencé d’enregistrer une autre bande, reprit Hilfy. Le nouveau manuel.

— Ah bon ?

— Nous le lui avons donné. Il absorbe les mots aussi vite qu’il le peut.

Pyanfar, prise de court, plissa le front.

— Il est content des chemises stsho que vous avez commandées pour lui. Il dit qu’elles sont chaudes… enfin, je traduis.

Pyanfar se leva et brandit une griffe en direction de sa nièce.

— Il a tout pour plaire, ce Tully ! Tellement compréhensif, tellement reconnaissant, et tout, et tout ! J’ai pas mal de traversées à mon actif, petite, et j’ai amplement eu l’occasion de rencontrer des faux-jetons au cours de mes voyages. Et pour commencer, puisque nous avons abordé ce sujet, il me déplaît que cette créature étrangère dorme avec vous. Je l’ai sottement toléré parce que je ne voulais pas qu’il traîne où bon lui semblerait et que je ne tenais pas à ce qu’il se supprime comme il a supprimé un de ses compagnons ainsi qu’il le reconnaît lui-même, songes-y, petite. Prétendument par amitié.

— Ce n’est pas juste de dire ça. C’était un acte de courage, ce qu’il a fait.

— D’accord. Et peut-être qu’il a encore d’autres idées sur le courage. L’équipage est habitué aux façons d’être étrangères et j’ai pensé qu’il continuerait à faire preuve de discernement, mais je n’aime pas du tout que tu te sois installée en bas. Tu as assurément gagné le droit d’y être et, dans des conditions normales, je préférerais que tu partages les quartiers de l’équipage. Seulement, elles ne sont pas normales. Il y a cette fichue créature et elle me rend nerveuse, ma nièce, comme me rendent nerveuse les choses qui risquent de m’exploser au nez sans avertissement. Je n’aime pas te savoir en sa compagnie.

Les oreilles d’Hilfy étaient collées contre son crâne.

— Pardonnez-moi, tante. Si vous m’en donnez l’ordre, je retournerai dans ma cabine.

— Non. Je serai plus exigeante encore. Je ferai confiance à ton bon sens. Je te demanderai seulement de réfléchir à la catastrophe que ce serait si pour une raison futile notre passager perdait la tête au mauvais moment. Chanur, ma nièce ! Comprends-tu cela ?

Les oreilles d’Hilfy se redressèrent en même temps qu’elle plissait le nez. Les paroles de Pyanfar avaient porté.

— Je veux retourner à Anuurn, tante, mais je veux aussi être fière au moins d’une branche de la famille quand je serai rentrée.

Pyanfar leva la main pour gifler la jeune hani mais, prenant sur elle-même, elle se contenta de lui faire signe de déguerpir.

— Va-t’en !

Hilfy pivota sur elle-même et prit la porte. La capitaine se laissa tomber sur son coussin, roula en boule le message du maître de station et le déchira de ses griffes. Dieux tout-puissants ! S’être reposée sur le bon sens de cette jeunotte – … et pour rien ! Pour rien ! Tendant le bras, elle appuya sur la touche de la traductrice et la voix ânonnante de Tully jaillit du haut-parleur. Elle arrêta la transmission, secoua la tête, défroissa le message de Stasteburana et l’introduisit dans le copieur, puis elle réenclencha la traductrice et resta à écouter la voix familière de l’humain qui mémorisait les mots les uns après les autres.

 

Six heures. Neuf Douze. Treize. On avalait un morceau sans quitter son poste, on faisait et on refaisait les vérifications, on prenait des repos forcés, on s’entraînait aux procédures préparatoires de saut et, surtout, on surveillait les sondeurs et les communicateurs. Vers la douzième heure, Pyanfar qui n’en pouvait plus de manger et de faire des sommes, tournait en rond, à bout de nerfs, usant ses griffes à force d’arpenter le plancher, s’efforçant de cacher son anxiété quand l’une ou l’autre des navigantes passait près d’elle.

Hilfy, elle, ne se montra pas. Elle restait en bas. Dans quel état d’esprit ? La capitaine aurait bien voulu le savoir mais comment lui poser la question ?

La voix de Chur, venant du pont inférieur, brisa soudain le silence qui régnait sur la passerelle :

— Un messager est là, capitaine. Il réclame l’enregistrement.

— Demande-lui quand la réparation sera achevée.

Une pause, puis la réponse vint :

— Dans moins d’une heure, capitaine.

— Bien compris.

La gorge sèche, Pyanfar posa les yeux sur la cassette qu’elle avait préparée, la saisit, la mit dans sa poche et sortit. Elle était dans un état de fébrilité tel que ce ne fut qu’une fois dans l’ascenseur qu’elle repensa à l’objet de la transaction qu’elle allait effectuer. Une seule idée l’habitait : partir – et l’enregistrement était un moyen de reconquérir sa liberté d’action. Et, nécessité faisant loi, elle n’était que trop heureuse de payer ce prix pour tirer sa révérence aux mahendo’sat et prendre le large.

Mais elle se rappela soudain que Hilfy était en bas et son cœur se serra.

L’ascenseur s’immobilisa, la porte s’ouvrit. Elle hésita une fraction de seconde, respira un grand coup et sortit.

Dieux tout-puissants ! Tully ! Il était là, lui aussi, à deux pas de la coursive où devait fatalement passer tout visiteur autorisé à franchir le sas.

Pyanfar tourna à l’angle du couloir et tomba sur un véritable rassemblement : un mahe en costume d’apparat – collerette rehaussée de pierres précieuses et jupon –, son serviteur, Haral, Tirun et Hilfy. Elle fronça les sourcils en prenant brusquement conscience de sa tenue négligée et se redressa de toute sa taille – une taille qui n’avait pas de quoi impressionner les mahendo’sat.

— Vous faire beau gâchis, lui lança le dignitaire avec aigreur. Vous causer grande gabegie, hani. Quand même réparer navire.

La Voix du maître de station, emperlée et parfumée, la toisait avec hauteur en proférant ses accusations. Sortant et rentrant ses griffes avec affectation, Pyanfar afficha une froideur hautaine et se tourna vers les navigantes.

— Tully. Où est Tully ? Est-il encore dans la salle des opérations ?

La Voix continuait de l’invectiver avec obstination :

— Vous mettre station en danger. Gros ennuis avec tc’a. Bandits knnn prendre otage. Vous vouloir emmener le coquillon knnn apporter en échange bon citoyen tc’a, eh ? Votre nom marqué dessus, hani. En toutes lettres, Orgueil de Chanur.

— Tully ! Qu’est-ce que tu attends pour venir ici ?

— Ils plus venir station maintenant, les knnn, non. Rendre navigation périlleuse partout dans système. Tout perturbé. Commerce arrêté. Affaires paralysées. Vous utiliser signal knnn, eh ? Knnn furieux. Détournement propriété kif : kif furieux. Vous causer enlèvement citoyen tc’a : tc’a furieux. Stsho tenir vous responsables attaque station stsho. Hani non parler vous. Quoi pour négocier avec vous, eh ?

Au même moment, Tully émergea de la salle des opérations suivi de Chur. Avec sa chemise stsho toute neuve en soie blanche à garnitures bleues, il avait l’air d’un être parfaitement civilisé et ces vitupérations paraissaient le déconcerter.

— Les papiers, Tully. Montre-les à l’aimable mahe.

Ses yeux clairs luisant d’inquiétude, il sortit les documents de sa poche.

— Pas besoin fichus papiers, fit sèchement la Voix.

Tully les déplia néanmoins et les brandit sous le nez du mahe qui les repoussa de la main.

— C’est vous qui les lui avez délivrés, dit alors Pyanfar. Propriété des kif, dites-vous ? Regardez donc ce digne, cet honnête représentant d’une race intelligente et civilisée parvenue à la maîtrise du voyage spatial et qui possède des papiers en règle. Et vous le traitez de propriété des kif ? Honte sur vous ! Je vous somme de lui expliquer ce que vous entendez par ce mot de propriété.

La Voix baissa les oreilles et jeta un coup d’œil au mahe de sa suite qui lui tendit un flacon de parfum. En guise de diversion, elle l’ouvrit, le huma, le temps de reprendre ses esprits. Quand elle abaissa à nouveau son regard sur son interlocutrice, son expression s’était quelque peu radoucie.

— Les enregistrements vous nous vendre compenser une partie des dommages.

— La totalité. Pas d’amendes. Pas de frais à payer. Pas de réclamations.

— Et sauvetage Coureur d’étoiles ?

— C’est un problème différent. Chanur et Faha honoreront cette dette quand nous serons rentrés. Quant au capitaine du Hasatso, il a ma garantie et elle vaut plus que son manque à gagner. C’est une affaire réglée.

La Voix réfléchit un instant, acquiesça et allongea le bras.

— L’enregistrement. Réparations finies, vous donner. Vous avoir escorte protection. Marché honnête, Chanur.

Pyanfar, les oreilles brûlantes – une sensation qui lui était inhabituelle –, sortit la cassette de sa poche, regarda Tully et la lui fourra dans la main.

— À toi de la lui donner. Elle t’appartient.

Hilfy ouvrit la bouche mais la referma sans avoir rien dit. Tully considéra la cassette, puis la Voix et la lui tendit d’un geste hésitant.

— Ami, dit-il en hani. Ami avec mahe.

Une poigne sombre et velue happa la cassette. Baissant les oreilles et pinçant les lèvres, la Voix paraissait plongée dans un abîme de réflexions. Tully gardait la main tendue, usage émouvant propre à son espèce. La Voix dont la vocation était de se plier au protocole des races étrangères allongea lentement le bras et laissa vaillamment l’humain secouer la sienne. Elle ne broncha pas de façon visible, mais le mutisme qu’elle observa quand l’étreinte eut pris fin ne lui ressemblait guère. Elle inclina imperceptiblement la tête – le strict minimum de ce qu’exigeaient les règles de la courtoisie.

— Je votre parole emporter. (Puis elle ajouta, hargneuse et l’œil torve, à l’intention de Pyanfar :) Vous appareiller dans une heure, terme de rigueur. Kirdu Station donner vous toute assistance possible. Vous prions instamment nous communiquer coordonnées monde de résidence de ce particulier. Risque disparaître vous, lui, tous pendant traversée.

— Nous supposons que sa planète est située par-delà le territoire kif, nous n’avons pas eu le temps de nous informer plus précisément, honorable.

— Stupide, commenta la Voix avec son franc-parler tout professionnel.

— Notre infortuné ami a eu à souffrir des kif. Ils lui ont fait subir des sévices. Il n’est pas stupide mais trop avisé, au contraire, pour parler à tort et à travers. Maintenant, le temps nous fait défaut. Aidez-nous à partir et nous mettrons les kif au pas tôt ou tard.

— Le hakkikt… Akukkakk. Nous connaître. Vous avoir affaire à forte partie, Chanur capitaine.

— Que savez-vous ? demanda Pyanfar dont la méfiance qu’elle éprouvait à l’égard de tous les mahe de Kirdu remontait brusquement à la surface. Que savez-vous de ce kif ?

— Départ dans une heure. Radoubeurs s’en aller, maintenant. Nous vous souhaiter bon voyage sans incidents, Chanur capitaine.

— Que savez-vous de lui ? insista Pyanfar.

— Bon voyage, répéta la Voix.

Elle fit une révérence à la compagnie et s’éloigna en direction du sas, suivie de son faire-valoir.

Pyanfar poussa une exclamation de contrariété et fit signe à Haral de reconduire les visiteurs. Elle regarda tour à tour Hilfy qui avait l’oreille plutôt basse, Tirun, Chur et Tully. Celui-ci paraissait agité. Elle posa la main sur son bras.

— Bravo, lui dit-elle. Cet « ami » était de toute beauté. Tu lui as passé le témoin, est-ce que tu t’en rends compte ? La Voix parle pour le Personnage lui-même, le maître de station, et en son nom. Et, par tous les dieux, mon astucieux et fort civil ami, d’un coup d’un seul, tu l’as neutralisé.

Tully baissa les yeux et eut un petit haussement d’épaules. Il avait toujours l’air aussi désarçonné. Pyanfar n’avait pas son monaural.

— Une heure, vous entendez ? dit-elle aux autres, à Tirun, à Hilfy, à Chur et à Geran, laquelle assurait la permanence dans la salle des opérations. Dans une heure, nous larguons les amarres et nous partons. Cap sur Anuurn !

— Comment ferons-nous ? voulut savoir Geran. En effectuant une série de sauts successifs comme pour l’aller ?

— Aussi rapprochés que possible.

Un mouvement lui fit tourner la tête. C’était Haral qui revenait.

— Je scelle le sas ? cria-t-elle du fond de la coursive.

— Scelle-le. (Pyanfar qui secouait le bras en guise de confirmation s’immobilisa brusquement à la vue de la haute silhouette noire qui avait surgi derrière Haral.) Attention !

C’était un mahendo’sat. Haral avait déjà pivoté sur elle-même. Le mahe au sombre pelage continua d’avancer comme s’il était chez lui, large sourire aurifié aux lèvres.

— Ismehanan ! gronda Pyanfar. Or-Aux-Dents, qu’est-ce que c’est que ces façons de s’introduire à mon bord sans mon autorisation ? Qui vous a laissé entrer ?

Il en eût fallu bien plus pour ternir l’éblouissant sourire du mahe qui s’inclina profondément.

— Affaire urgente imprévue, Chanur, fit-il en se redressant tandis que Pyanfar marchait sur lui. Peut-être même route prendre que vous.

— Quelle affaire ?

— Possible même affaire que vous.

Pyanfar respira un grand coup et le dévisagea.

— Et si vous parliez sans détours pour une fois, capitaine ?

— Où aller vous ?

— Faut-il que j’annonce ma destination par haut-parleur au bénéfice des kif qui sont à quai ?

— Votre port d’attache ? Via Ajir ?

— Vous pouvez faire toutes les suppositions qui vous plaisent.

— Mahijiru posséder armement premier choix. Ami à moi accoster aujourd’hui. Lui aussi équipement excellent. Réfléchir, Chanur.

— Crapule !

Ismehanan recula en levant une main aux griffes émoussées. Celles de Pyanfar, elles, étaient acérées. Il continua de sourire tout en faisant un geste d’esquive.

— Nécessité. Temps mahe débarquer cargaison.

— Menteurs hypocrites ! Ma destination ne vous regarde pas. C’est une affaire purement hani, vous entendez ? Personnelle et privée. Si vous voulez chercher querelle aux kif, débrouillez-vous tout seul.

— Vous rentrer port d’attache, hein ?

— Je vous répète qu’il s’agit d’une affaire personnelle et privée.

— Je donner avertissement une fois. Peut-être travailler maintenant avec ports hani. Commerce beaucoup. Vous parler pour bon ami ici présent, oui ?

— Quel jeu jouez-vous ?

Toujours souriant, il tourna les talons et se dirigea vers le sas devant lequel se tenait une Haral que l’indignation faisait suffoquer.

— Or-Aux-Dents !

Le mahe ne s’arrêta que le temps d’agiter le bras.

— Mahijiru escorter vous, capitaine. Chance pour vous : être le plus mieux.

— Que pourrissent vos tripes ! Je n’ai aucune envie de servir d’appât à des mahe pour piéger les kif !

Mais le mahe s’était déjà volatilisé alors que les échos de la voix de Pyanfar ne s’étaient pas encore éteints. Haral, ne sachant que faire, se tourna vers la capitaine, mais cette dernière, les bras ballants, ne songeait pas pour l’instant à lui donner les ordres qu’elle attendait. Le mahe avait posé un ultimatum et l’on ne pouvait rien faire pour l’empêcher de suivre L’orgueil.

— Ferme ce sas, laissa enfin tomber Pyanfar. Les dieux savent qui pourrait encore entrer !

Haral se précipita au pas de course. Pyanfar regarda successivement Tully et les navigantes qui l’entouraient.

— J’ai le Mahijiru en ligne, annonça Geran en sortant de la salle des opérations. Quelqu’un établit une liaison protégée et nous recevons. Ils disent avoir des consignes et demandent des coordonnées.

— On rentre. Ils nous ont suffisamment fait perdre de temps comme cela. Si Stasteburana s’est mis dans la tête de se servir de nous, rien ne nous empêche de lui rendre la pareille. Je vais lui communiquer notre cap. Et leur donner un point de chute dans le périmètre d’Anuurn.

— Chanur…, commença Tirun.

Mais Pyanfar ne lui laissa pas le temps de formuler ses objections :

— L’enjeu dépasse Chanur. Cela ne fera peut-être pas de mal à Anuurn de voir cela. Nous avons les plus graves ennuis. Et nous ne savons pas encore tout. Il devrait y avoir des hani, ici, ne crois-tu pas ? Une multitude de navires hani qui entrent et qui sortent, pas seulement les Tahar. Nous sommes à l’une des principales escales sur la route de nos concurrents. Or, nous n’avons pas vu un seul bâtiment hani en dehors de Lune Qui Monte qui est sur le chemin du retour. Croyez-moi sur parole, cousines, une fois arrivées au port, elles ont toutes désarmé. Voilà pourquoi le couloir que nous avons emprunté était désert. Le coureur d’étoiles était au courant. On a passé le mot partout, dans chaque port à chaque base.

— Dieux, murmura Chur. Cela aurait pu durer six mois…

— Geran, Haral et Chur, avec moi de service de passerelle. Les autres à la salle des opérations. Et donnez tout de suite ses somnifères à Tully avant qu’on oublie.

— Tante ! s’écria Hilfy. (Pyanfar se tourna vers elle.) Capitaine, fit la jeune hani sur un ton plus mesuré.

— Tu as une question à poser ? fit sèchement Pyanfar.

— Non, capitaine, répondit Hilfy en redressant le menton.

Les lèvres légèrement crispées, Pyanfar hocha la tête, sonda avec satisfaction le regard limpide de sa nièce et, faisant demi-tour, se dirigea vers l’ascenseur.

Le bruit sourd du tambour du sas qui se refermait retentit à l’autre bout de la coursive. L’orgueil avait entamé la manœuvre d’appareillage.